Berlin


BERLIN

L'apprenti a fait le Mur
Burka éditions.


Aux lumières, à celles qui sont éteintes,
à celles qui sont là bien sûr,
et à celles que je dois allumer pour les trouver.

Berlin, le Mur (décembre 1989)
(décrit entre 2006 et 2008)

1ère édition : Janvier 2008



AVANT-PROPOS :


                                            Ce que je vais vous raconter comme voyage moto, je vais vous le faire de mémoire uniquement. Car le carton qui contient le carnet de ce voyage avec les photos, les détails chiffrés et les pensées de voyage est recouvert d'autres cartons hétéroclites et est disposé dans une zone un peu surchargée !

                                            C'est aussi bien, car avec 17 ans de recul, ça me permettra d'être concis, tant est que Black Kariboo puisse un jour l'être…Et parfois, il est bon de parler de certaines choses avec l'idée que l'on en a après bien des années passées.

                                              Cependant, le style est ce qu'il est : c'est à dire du brut de vécu par un non littéraire, raconté comme tel avec les mots qui viennent. Les miens. Laissez tomber vos acquis et a priori, vos bases et plongez vous en1989 pour prendre ce récit comme il est : naturel, simple et vivant, comme dans un monde de lumières. Un monde de lumières où il ne sert à rien d'avoir la puissance si tu ne sais pas vers où diriger ton faisceau.


                                                MISES EN GARDE IMPORTANTES

                                               
                Avertissements : A la lecture de ce récit,

              Si vous vous prenez à réfléchir sur le moyen de trouver votre Graal. 20 ou 30 ans après votre jeunesse fougueuse et révoltée.
              S'il vous prend l'envie de tout foutre en l'air et de prendre votre vélo, caddy de Super U, camping-car, moto ou canoë pour partir vers on n'ose trop savoir où.
                Si vous vous surprenez à avoir envie de rencontrer des gens, sans a priori et sans arrière-pensées.
                Si vous vous observez à partager avec d'autres un bout de vie, à raconter des choses captivantes, à écouter des gens qui donnent envie. Oui, vous pouvez aussi être passionnant au lieu de toujours raconter des conneries...
                Si vous vous levez de votre chaise et sortez rouler une pelle à votre voisin qui tond la pelouse. Parce que finalement, vous le trouvez moins con qu'il n'y paraît.
                Si vous constatez enfin qu'il y a un autre monde dehors.
                Si vous regardez votre moitié avec un regard différent.
                Si vous donnez plus envie que d'habitude à votre moitié. Là, heu… Faut attaquer !!!
                Si vous constatez subitement qu'au vu du temps qu'il nous est imparti sur cette terre, il nous en reste finalement peu,et qu'il est temps de se prendre en main.
                Si vous trouvez de l'intérêt à voir une merde par terre parce que le canidé n'avait pas la pièce de 50c pour les toilettes publiques et que vous vous mangiez un poteau, c'est que le sale cabot a gagné : il vous a détournés de l'essentiel !
                Si vous regardez un chouette bout de nature que vous croisiez tous les jours sur la route du boulot sans jamais l'avoir distingué avant.
                Si vous vous lancez dans la rénovation d'une bécane,d'un coussin de curé ou d'un bougeoir. Là, on ne peut rien pour vous.
                S'il vous prend de faire la leçon à un connard,alors qu'auparavant,l'intelligence du bon sens et du civisme courtois vous aurait évité la baston.
                Si votre acuité visuelle s'améliore.
                Si malgré tout, vous restez toujours aussi borné et bourrin.
                Si vous avez envie d'aimer.
                Si vous vous débouchez les naseaux une fois de temps en temps.
                Si vous ralentissez un peu pour tourner la tête.
                Et si finalement, vous vous trouvez pas si mal.

                                  Alors,vous déclinerez Burka éditions de toutes responsabilités, en commençant la lecture ci-après.

Vous êtes prêt ? Allez… C'est maintenant !




1er épisode : Mon copain le Chinois











                                            Il s'agit d'une sortie que l'on a décidée de faire avec un pote français de Clifton et sa Talbot Samba suite à la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, ceci 10 jours avant le départ proprement dit. Se faire Paris-Berlin avant le Nouvel An, passer le réveillon là-bas et revenir pour reprendre le ferry pour les terre de la Reine quelques jours après.

                                            On est étudiant en Angleterre, insouciant et plein d'entrain. On passe notre temps entre l'école, le sport, les sorties, les filles, le pool et surtout ...à partager un esprit de groupe qui ne se crée qu'une fois dans un même groupe. Le goût qui en ressort n'a d'égal que la diversité des gens qui le composent et de leurs caractères. Après, le lieu, l'époque de cette période et le fait que l'on est à l'étranger - avec toute la liberté qui en découle - ont ajouté quelques épices propres.

                                            Même si notre groupe est principalement francophone (Français, Belges et Suisses), à l'occasion viennent s'y joindre Espagnols, Allemands, Japonais. Aussi, quelques Palestiniens dont la notion sur la générosité et l'ouverture d'esprit fraternelle me rassure sur ce que sont les hommes et sur ce que peut être le mélange de cultures.

                                              Ainsi, toutes ces rencontres agrémentées de rares anglais et anglaises (selon le goût et la persistance de chacun…) nous amènent à penser - ou plutôt à ressentir - que la terre est nôtre sans autres formalités. C'est pourquoi l'idée de partir à Berlin pour fêter le 1er Nouvel An après la chute du Mur semble être une chose logique pour occuper les congés scolaires de Noël. 

                                              Voilà, c'est décidé, on se donne rendez-vous à Paris chez le copain Pascal avant de quitter le Bristol et le royaume de Sa Majesté. Chacun prend le ferry selon sa destination, on se rappellera après les fêtes de Noël pour convenir du jour précis du départ qui devrait se situer vers le 29 décembre (1300 à 1400 bornes selon l'itinéraire). Pour le couchage, on verra sur place. On pense même se faire loger chez des autochtones berlinois, la terre est belle et ses habitants sont bons comme notre esprit de voyageurs candides…

                                              Une fois à Blois, je parle de mon voyage est-allemand aux copains retrouvés le temps de quelques jours sur le sol français. Je remarque dans leurs regards un soupçon de suspicion, associé à un brin d'envie, du genre ''Nous, maintenant, on bosse, on doit gérer nos congés et on ne peut plus se permettre l'improvisation et l'insouciance du temps d'avant. Mais c'est pas l'envie qui manque et 'tain, t'as du bol quand même …''. Ils se demandent aussi si je déconne ou si je suis sérieux. Je remarque que cette destination leur paraît - en cette période mouvementée dans les pays de l'est - un peu folle et d'un exotisme osé, teinté d'aventure de par la situation géographique de Berlin en ces temps de guerre froide. Le temps aussi est au froid.

                                              Noël est passé, il reste quelques jours avant le départ. A deux, c'est plus sympa et sûr. Tu peux partager l'émotion des choses (les frais aussi !!!), tu fais plus de choses, les décisions sont partagées et la folie complémentaire de chacun devrait nous promettre un putain de bon temps à passer au Mur. Un putain de voyage aussi, peu commun et que l'on s'est promis de réaliser. A deux, ça permet de s'auto-motiver et de ne pas lâcher avant le départ pour des raisons x ou y, genre financières ou tout simplement d'abandonner devant quand même un sacré voyage express.

                                              C'est vrai que l'on s'est dit que Berlin, c'est maintenant ou jamais, qu'après, il n'y aura plus la même saveur de ce monde qui s'apprête à ''passer à l'Ouest''. C'est vrai, qu'après, il y a une année d'armée en perspective et qu'à la sortie, je dois attaquer une activité professionnelle. On y va car nous sommes conscients que l'on ne pourra plus le faire. C'est aussi ça. C'est aussi ça quand tu sais que la période estudiantine post-adolescence sera sous peu révolue. Pour moi, c'est un peu : ''C'est comment que l'on va faire après ?''.

                                              A la date convenue, j'appelle mon ''Taxi pour Berlin'' à Paris. ''C'est bon ? C'est pour quand ? Donne moi ton adresse… Oui… Ah bon… Putain…Tu fais chier… Dommage…''. Celui-ci me lâche !!!!

                                              Putain, c'est trop con, il ne peut pas le faire… Après 3 mois d'Angleterre à gauche puis le ferry du retour, en roulant à droite, il s'est pris un rond-point français à l'anglaise, par la gauche, a dû éviter une bagnole qui arrivait normalement, et a mangé le terre-plein central. Bilan, la Samba a le train AV droit un peu gauche et le budget du voyage doit soudainement passer dans de la pièce d'occas' pour réparer sa voiture. C'est légitime car son compte en banque frise la déchetterie. Comme la reprise des cours à Bristol se fait vers le 8 janvier, 'faut pas traîner. Bon…

                                              Le copain a les boules, bien sûr, il me demande si je compte toujours y aller… Je me pose aussi la question car la donne a changé…Il s'agirait donc pour moi ainsi de faire un voyage solo (et dans solo, il y a ''seul'', ne nous le cachons pas…) avec mon Ténéré 600. Et à l'aveuglette, de me pointer là-bas avec mon sac à dos et de tout gérer sans concertation avec quiconque. Sans partager aussi. C'est du solo avec tout ce que cela comprend. Berlin est loin. Je me demande si j'ai la carrure pour assurer ou tout simplement l'envie d'y aller. Il fait des températures bien au dessous de zéro et à Berlin, c'est -10°.

                                              En contrepartie, je me dis aussi que ça serait une expérience extraordinaire, que j'aurais plein de choses à raconter. Le groupe en Angleterre attend notre retour pour écouter notre aventure. Bien sûr, l'amour propre, l'envie et la saveur de l'incertain font le reste et je me dit que je me dois de le faire. Je lui réponds que je pense le faire.

                                              Une journée et demi de réflexion. Mes parents me disent que je n'aurai pas d'autres occasions de faire un tel voyage et que ça serait dommage  de rater une telle opportunité car après, c'est la vie active. Je vois clairement qu'ils auraient bien aimé dans leur temps faire ce type de virée s'ils en avaient eu les moyens et si la planète avait été aussi ouverte aux travellers que maintenant. Je me sens privilégié… Tout d'un coup.

                                              Mon Ténéré, fidèle ami de route, fiable et sûr comme mon slip, est un chameau. Son réservoir de 24 litres peut m'emmener partout pendant plus de 400 km avant la réserve. Il a 12/13000 km, je l'ai bien en main, on se connaît. Je décide de prendre la route demain, le 28 décembre. Je vais partir léger autant que possible.
                                              Déjeuner pas motivé, une douche pas motivée, je descends au sous-sol pour préparer un départ pas motivé, aussi excité que si je partais voir à 200 bornes de là, le 1er ciré de pêche de Salman Rushdie avec un groupe de Laotiens. Un peu insouciant. La gorge un peu nouée néanmoins.

                                              Il est 10h00, je couche à même le sol - pour ma check-list - une bâche bleue qu'un condamné à perpète chinois a bien voulu me fabriquer. Son seul voyage à lui, c'est de lever la tête l'autre matin pour s'assurer que le soleil est toujours là, que lui… est toujours là…

                                              J'y étale mon matos classique :

                        1- La tenue pour la route,
                        2- Le matos de rechange et une tenue civile,
                        3- La logistique (passeport, papiers, CB,appareil photos, double des clefs, un peu de cash français, quelques Deutsch Mark, carnet de route, condensé de numéros de téléphone, de la  bouffe en barres, un peu de flotte et 2 bananes, un cadenas, une lampe torche, etc…)
                        4-L'assistance technique : outillage minutieusement sélectionné, fil de fer, bombe répar' crevaison, huile, un peu de visserie et d'ampoules, sacs vides, chiffons.
                        5- Une canette d'inconscience positive et de rêverie pleine de passion et d'envie.

                                              Je packe et j'amarre mon sac correctement - à la Black Kariboo's father. Je m'habille, bisous, cagoule, casque, gants, sac à dos. Je démarre sans même savoir où je serais ce soir.

                                            Il est 11h00.
                        ''Tu nous appelles quand t'arrives à Berlin !''.
                        ''Heuuuu, oui-oui, M'man!''

                                            Mes parents ont la délicatesse de ne pas montrer quelconque signe d'émotion. Ceci, bien sûr, afin de ne pas me culpabiliser, mais aussi pour ne pas m'affaiblir le moral, car j'y vais, mais avec autant de conviction qu'un départ pour le service militaire. Je vois bien qu'il y a de l'inquiétude dans leurs yeux malgré les sourires d'encouragement. Pas besoin de mots. Dans certains moments de vie aussi brefs et infimes soient-ils, l'esprit atteint parfois très brièvement un espace spirituel d'échange avec ceux que l'on aime ou ceux avec lesquels on est en train de partager un moment fort, intime, nouveau, incertain, émoustillant ou dramatique. C'est souvent le cas lorsque l'on n'a plus la maîtrise et le contrôle des émotions et des évènements.

                                            Un frisson me remonte jusqu'au visage. Le plafond est bas et la température proche de zéro. Je reviens à la réalité. Première, j'embraye. Direction la Belgique. Petit coup d'œil sur la gauche. Bye bye.


                                                               
FIN DE LA 1ère PARTIE



                                            C'était le 1er épisode que j'avais déposé début juillet 2006 sur le site d'Aégis ''Volusia-fr.com''. J'ai même dû réapprendre la rédaction en direct. Le style évolue aussi en cours de route. La vie aussi. Puis j'ai déposé ce récit sur le site Intruder.fr et maintenant pour vous, le site de J-M accueille ce voyage. Parfois, on arrive à faire passer ce petit quelque chose qui phase, vous le découvrirez en cours de route. Et ce n'est pas facile. Il y a des moments où je me suis subitement remis à écrire plusieurs mois après, car je le sentais ou que je me disais que je ne pouvais pas m'arrêter là.

Black Kariboo and his glorious blue bronco.




Épisode 2 - Il était temps ...





                                            Bon, c'est parti. Je me suis fait un petit roadbook mental : Blois/Montargis/Troyes/Charleville-Mézières/Liège/Cologne/Hanovre  puis Berlin…


                                            Ce soir, je coucherai là où j'aurai décidé de m'arrêter (selon le kilométrage ou le temps). J'espère arriver en Belgique (après 400 à 500 bornes) et me péter Berlin demain soir. Je ne sais pas trop ce à quoi m'attendre vraiment. Il y a quelques jours, je ne savais même pas que je partirais seul pour le Mur.


                                            Le temps est nuageux, le plafond bas ne fait qu'une seule masse pesante, un peu de brouillasse. Dépressif, arrête-toi tout de suite et rentre au bercail car avec ces conditions, 'faut plus se poser de questions ! Le froid saisit un peu. De toutes façons, en prenant les nationales (pas de budget pour les autoroutes), ça m'oblige à rester à 100-110 km/h et à redescendre dans chaque patelin. C'est bon pour la température de l'équipage.


                                            Aussi, j'ai un slip, mon collant Damart et un jean pour le bas. Pour le haut, un T-shirt, un sweat à col, mon plastron Damart qui protège le buste et le cou, puis ma veste enduro Roxy multi-poches (une nécessité) avec inserts aluminium pour garder la T° corporelle au mieux et limiter la dispersion de chaleur. Je ne sais pas si c'était la forme physique de la jeunesse ou la qualité d'isolation de cette veste, mais je me demande encore aujourd'hui - 17 ans après - comment j'ai fait pour voyager par n'importe quelle météo et saison sans jamais ressentir les affres du froid. Toujours à 110/130 pour les petits trajets de 600 km vers l'Angleterre par  exemple. Encore une inconnue..C'est vrai que le Ténéré avait un petit saute-vent assez haut dans le cadre, le pilote planqué derrière, flanqué contre le réservoir proéminent.


                                              Bon, le tout recouvert d'une tenue de pêcheur indonésien achetée quelques jours auparavant chez Outiror. Ca, c'est pour faire coupe-vent. Le casque GPA intégral et la paire de gants hiver que le ''grand frère'' a donnés au petit de la famille que j'étais. Une succession que j'allais honorée. Les bottes Sidi de cross car je sais que les extrémités vont souffrir. La journée de roulage est déjà bien avancée que je n'ai parcouru que peu de kilomètres. Il faut vraiment y aller et emmancher.


                                              Un casse-dalle dans un troquet vers 15h00. Très vite, la nuit tombe, la route devient fastidieuse, la température continue de descendre, le bruit du Ténéré et du vent dans le casque commencent à limer graduellement l'énergie.


                                              Vers Troyes, une voiture me klaxonne frénétiquement à un feu. Le passager me crie que j'ai un truc d'accroché sur le bras oscillant et qu'il peut se prendre dans la roue ! Un coup d'œil, je le rassure - tant est qu'il ait pu être rassuré par mes explications. En effet, j'avais enrobé mes bottes de sacs poubelles de 100l pour freiner la pénétration du froid, le tout fixé par du scotch à masquer pour la peinture !!! Avec le vent, les sacs ont commencé à se libérer un peu, créant le schéma empirique de la voile du bateau qui, tenue que par le mât, claque au vent et commence par se déchirer. Mon scotch se taillait en lambeaux et faisait une traînée d'un mètre - aaah, très décoratif…et une partie était accrochée au bras oscillant. Je sais, je sais, quand tu dis au mec que tu vas à Berlin équipé comme ça, il se retourne - interrogateur - vers ses potes dans la bagnole, se marre, dubitatif, secoue la tête et démarre en trombe quand le feu passe au vert !

                                              Quelques kilomètres plus loin, première frayeur, en arrivant sur un feu rouge, je ralenti comme d'hab' pour ne pas avoir à poser les pieds au sol et ainsi repartir au vert sans même m'être arrêté. Je m'approche du feu, je joue à l'équilibriste. Ca craint, je n'ai jamais fait de trial pour le sur-place. Je dégage donc mes pieds des cale-pieds et là… impossible de les décrocher !!! Mes recouvre-bottes en sacs plastique se sont accrochés aux repose-pieds tout-terrain. La moto penche direct sur la droite, la buée monte en une seconde dans la visière.  C'est le four sous la cagoule, je n'y vois plus rien ! J'arrache le tout et me rétabli in extremis contre le trottoir… Oh pétard, me vautrer par ce froid et de manière aussi conne m'aurait profondément altéré l'esprit. Surtout aussi peu loin de chez moi. Les adducteurs ont fortement travaillé. Moment de solitude quand, un petit peu de gel aidant, mon pied posé sur le trottoir glisse langoureusement vers l'extérieur… M'écartelant un peu plus… La moto prend de l'angle. Gros effort de rétablissement, freiner le mouvement puis se rétablir. 40 ° dans la combin' !

                                              Malgré tout, c'est la route du bonheur qui est toute noire devant moi. Je pense au copain avec lequel j'aurais dû partir, à mes parents ce matin, les images défilent et je sais plus vraiment à quoi m'attendre dans cette aventure. Je sais seulement que je vais en direction d'une destination peu commune et que je vais vivre un évènement peu commun lui aussi, unique dans ma vie d'apprentissage du monde. C'EST TOUT, et ça me suffit. Je n'ai pas de raisons de revenir.

                                            Les arrêts pipi ou les arrêts carte routière (car je ne connais pas du tout la région du nord-est) ponctuent ma route. Il est 18 heures, je passe la frontière franco-belge et c'est à se demander s'il y a quelqu'un dans la baraque. Je m'arrête, le contrôleur des douanes sort, regarde d'abord à gauche puis à droite et paraît surpris qu'un voyageur prenne le soin de passer au contrôle !!! On en restera là. C'est l'Europe, patron !


                                            Là, ça caille dur, environ -10°. Les pieds commencent à subir ce froid bien qu'ils soient enrobés des fameux sacs. Pour les mains, les protège-mains d'origine sur le Ténéré jouent un rôle de déflecteur très important. Bien que l'idéal eut été d'avoir des manchons sur les poignées.


                                            J'arrive maintenant sur un genre de rocade éclairée proche de Dinant, qui apparaît comme un oasis tellement la nuit avec la bruine et une visibilité à 50 mètres me mange l'esprit. J'en ai ma claque, il faut que je trouve à dormir pour ce soir. Je ne doute pas de trouver quelque chose, comme s'il y avait une certaine candeur dans ma tête et qui me fait malgré tout avancer. De toutes façons et c'est bien connu, le doute taraude et tue dans un voyage. Et les autres que tu peux croiser le perçoivent.

                                            Ainsi, je prend la 1ère sortie, la visibilité n'est plus que de 20 mètres. Je suis entré dans la campagne vallonnée et j'aperçois une lumière sur la gauche. Je m'arrête, c'est un garage automobile. Je rentre dans l'atelier, les mécanos et le patron me regardent, surpris de trouver un visiteur - de surcroît motard - par ce temps là à pareille époque. Ce regard, je le connais et j'ai pas fini de le croiser à nouveau...Je demande l'hospitalité pour la nuit, n'importe où, dans l'atelier, dans une grange. Là : NON, le boss me dit qu'il ne souhaite pas laisser un inconnu dans l'atelier avec tout l'outillage qu'il y a, qu'il ne me connaît pas, bla…bla…bla, bla…bla…bla... Je ne juge pas, je comprends.

                                            Oooh, j'en n'attendais pas moins… L'hospitalité à l'africaine ou tropicale, où personne ne se pose de questions et t'accueille, te loge, te nourri et partage avec le voyageur que tu es, ravi seulement de croiser ta route, de te rencontrer, de donner. Tout cela n'est pas vraiment de mise en Occident. On doute, on ne veut pas qu'un tiers pénètre l'intimité d'un lieu personnel où ta famille et ta vie se sont construites et matérialisées, où tout est réglé selon tes habitudes, ta routine optimisée pour gérer l'intendance, l'organisation et tout ça. Normal, je réagirais pareil. En fait, il ne faut jamais surprendre et prendre au dépourvu une personne qui n'avait pas encore paramétré physiquement ou temporellement ta présence ou ta demande. C'est pas compliqué.

                                            Donc, le garagiste m'indique qu'il y a une ferme en face. Ah bon ! Je ne vois rien. De toute façon, un paysan m'accueillera. Je ne tarde pas. Manque plus qu'à le trouver, le bestiau. Suivre l'odeur. Je traverse la route à pied, je n'ai jamais vu une telle obscurité de ma vie. L'enseigne du garage n'éclaire même pas l'autre côté de la route. Je marche à tâtons dans un noir absolu pas à pas. Je manque de me vautrer à plusieurs reprises dans des ornières gelées laissées par un tracteur. Ca sent le bovin à plein nez, je ne suis plus loin. La lampe torche est au fond du sac.

                                            Ainsi, je fais 20 mètres façon Fort Boyard dans une cave du château,  et hasard des choses…, je me cogne contre un gars qui hurle sa surprise et qui ne m'avait même pas aperçu. En fait, il s'agit du paysan et je viens de lui mettre un coup de boule dans la tronche. Quand je vous dis que l'on n'y voyait rien ...Il a franchement dû se croire agressé par un yéti, et son accueil est proportionnel à sa surprise et au coup de boule !!!

                                            ''Qui êtes-vous ? Que faites vous là ?'' dit-il, content et rassuré de ne pas s'être encore pris un autre bourre-pif illico. ''Français, étudiant, je vais à Berlin et je cherche un endroit où dormir ce soir, j'suis en moto… Et je suis très fatigué...''  ''Vous faîtes quoi ici ?'' Toujours hébété par la rencontre, il ne comprend pas. On se distingue à peine. Il est plus petit que moi. Une autre planète. Je lui ré-explique.

                                              Il m'accompagne à l'étable où il n'y a pas plus de 50 watts de lumière. La bruine a pénétré à l'intérieur. On cause un peu, des petits veaux fumants condensent à fond et viennent faire connaissance de l'homme et me reniflent. Pas rassuré que je suis. Au moins, les vaches sont dans leur zone.


                                              Maintenant que la surprise est retombée, je lui raconte brièvement mon voyage et qu'il est ma première étape, que les bottes de paille à côté feront l'affaire, qu'il me donne une fourche et je me ferai volontiers un igloo pour m'abriter. J'anticipe afin qu'il n'est pas à réfléchir à une solution d'hébergement. Mode opératoire efficace. Pour le steak de veau, j'ai pas de briquet pour le barbecue, je me contenterai donc d'une banane et d'une barre de céréales avec de l'eau que j'ai dans mon sac. Qu'il ne se dérange pas. Accordé.

                                              Le sac à dos commence à me manger les épaules et le froid m'a bouffé beaucoup d'énergie. Je vais chercher la bécane que je retrouve par le halo de la veilleuse que j'aperçois à peine. La rentrée vers l'étable est chaotique tellement le sol est gelé et que vu mon gabarit, les jambes ne touchent pas le sol. Je me souviens aussi avoir mis le U sur la roue avant… Qui aurait été assez con et dégénéré pour se pointer là, piquer mon 600, et tenter de se barrer avec par ce temps là pour finir en cube de glace ....On ne se change pas…

                                              Ainsi, avec la lumière de l'étable, je parviens à grimper sur le tas de bottes à 2 m de haut, je me forme un creux et me fais un pare-vent, je déballe le duvet, pas même envie de pisser, l'estomac vide. Ca caille tellement, je ne sais pas quelle heure il est, la lumière de l'étable - déjà insuffisante -  est masquée par la hauteur de paille. L'opération retrait des lentilles de contact est épique, elles souhaitent tout simplement geler dans leurs bocaux…

                                                Aussi, je fais une erreur vitale : je n'enlève que ma tenue indonésienne, ma veste, mes bottes et mon jean. Je suis tellement saisi par le froid qui s'amplifie avec la nuit que je m'engouffre dans le duvet avec ma doudoune. En conséquence, le duvet ne peut jouer son rôle de cocon de chaleur. Avec seuls un T-shirt, des chaussettes et le collant Damart, ça aurait été impeccable.
                                               
                                                  Ainsi, je ne vais quasiment pas dormir, tant courbaturé et transis. Les vaches et les veaux n'arrêtent pas de remuer, de souffler, meugler et de péter. Je suis à l'écoute de chaque bruit. Je suis fragile et vulnérable, coincé dans mon trou. Je pense à la route que j'ai faite, le départ en fin de matinée, à mes parents… et à Berlin. Si proche, si loin.


FIN DU 2 ème EPISODE



                                                Voilà, une 2ème partie bien remplie et pleine de sensations. Je m'aperçois qu'au fur et à mesure que j'écris, les souvenirs et rappels émotionnels refont surface. Étrangeté pour moi qui découvre ce phénomène autonome et indépendant de remise à flots de morceaux de vie pour lesquels j'en gardais une image globale.

Épisode 3 - Ca gèle dur...






                                                  Le lendemain matin, totalement cassé par la journée de roulage d'hier, le couchage très sommaire et ce putain de froid qui m'a transi toute la nuit, je me lève courbaturé grave, raide comme une érec'.

                                                  Aah, c'est vrai, les veaux et la fragrance matinale ''bovidé'' sont plus que jamais là. Le fermier se pointe, lui, déjà levé depuis tôt le matin et espérant que j'aie passé une bonne nuit (un peu gêné de m'avoir donné le gîte dans la grange). Il m'invite à prendre le déjeuner, il est 09h30.

                                                  A cela, j'accepte volontiers et le remercie cependant de m'avoir accueilli malgré notre rencontre coup de boule et nos présentations nocturnes un peu club de rencontre minute. Enfin, un peu de chaleur dans la cuisine où il y règne une odeur de bois brûlé et de café. La table en formica avec la nappe plastique à carreaux façon confiture Bonne Maman comme on a tous vu chez nos parents ou grand-parents. Les bols à la céramique fendillée et le pain qui attend, bien chaud. Les murs nus.

                                                  Bonjour Madame ! Elle fait la rencontre de ce français qui a dormi dans la grange et qui va à Berlin en moto en cette période ! Un petit événement qui vient égayer leur rude vie spartiate de fermier.

                                                  Aussi, ils ont du mal à concevoir qu'un tel voyage puisse être imaginé dans ces conditions. Voire même tout simplement : pourquoi faire ce trip ? Je vois dans leurs yeux un regard admiratif et un peu d'envie. Ils confessent qu'ils auraient eux aussi voulu faire des voyages mais que leur boulot est tellement prenant qu'ils n'ont quasiment jamais pu s'en extraire. Ils ont en plus pris la succession des parents à la ferme, et ils n'ont de toute façon jamais envisagé une autre activité. Il n'en pouvait être autrement pour ces gens de la terre. De vraies gens.

                                                  ''Il faut manger, Monsieur, reprenez du pain et du café !'' Ils ne veulent plus me laisser partir ! Ils ne peuvent m'offrir que ça…Et c'est déjà beaucoup pour moi… Je vois bien qu'ils veulent parler et partager mon voyage à leur façon. Il faut que je raconte. Ils boivent l'exotisme de cette rencontre. Je viens d'un autre monde pour eux.

                                                    Cependant, il ne me faut pas tarder, j'ai de la route, beaucoup de route. Pourtant, la chaleur de la cuisine m'invite à traîner un peu, ainsi que le plaisir de ce couple qui ne sont que des simples gens sans fioriture ni blabla à la con. J'espère sur ma route en rencontrer en zone urbaine. Chose qui, implicitement, sera très difficile.

                                                  Je repacke le tout. Je peux mettre une image à tout ce que j'ai entraperçu dans la soirée sur le chemin. Un Bye-Bye au fermier qui est dans la cour. Je remarque le garage auto, cette fois-ci de jour. Je repars vers Liège qui sera l'axe routier qui me permettra de passer en Allemagne pour prendre les autoroutes gratuites et filer au maximum vers Berlin.

                                                  Je me suis bien restauré mais il est déjà 11h00 et j'emmanche vers Dinant par un bout de voie rapide. Ainsi, ça bruine un peu mais il fait vraiment froid. 75 bornes à 90-100 et j'arrive sur l'agglomération de Liège. J'apprécie les protège-mains du 600. Je sens dans les bottes pénétrer ce froid humide (je n'ai pas mis les sacs couvre-bottes) et ça devient dur.

                                                  Automatiquement, l'allure se réduit au fur et à mesure que je me rapproche de la cité. Bizarrement, je commence à être incommodé par une sensation de gonflement aux extrémités des doigts.  Puis, petit à petit, plus je rentre en ville par le biais de voies rapides, plus je commence à avoir le souffle qui se réduit car la douleur dans les doigts a atteint un niveau qui dépasse ce que j'avais connu au niveau du froid jusqu'à présent. Les deux 1ères rangées de phalanges semblent atteintes. Ou peut-être les doigt complètement, car je n'ai plus de perception sensorielle.

                                                Alors, mes doigts auraient-ils gelé sans que je n'en ai eu un quelconque signe d'alerte ? Je savais que les mains prenaient le froid au travers des gants dont ce matin, j'ai aperçu quelques faiblesses dans les coutures des bouts. Je sentais de la difficulté dans les mouvements. Mais, sentant l'approche de la ville, je m'étais dit que ça irait.

                                                  Cependant, on a tous eu les doigts un brin gelés un jour, en dégivrant le pare-brise de la bagnole ou en faisant des activités extérieures en hiver. Une forte douleur de quelques secondes, on rentre à la maison et on pose les mains sur la radiateur ou on met les mains dans les poches de la doudoune. C'est désagréable un moment, certes, mais on supporte.

                                                  Donc, je me dit qu'il va falloir s'arrêter dans une zone dégagée en ville par exemple. J'arrive sur un feu, je décélère, j'ai des crispations dans la mâchoire tant les doigts me pourfendent de douleur. J'ai comme l'impression qu'ils ont éclaté au bout. Les yeux sont embués. La gueule sèche par le froid qui ne caresse plus, mais qui préfère gifler. Je tente de rétrograder et là… Impossible de serrer le levier d'embrayage. Je tiens alors le guidon à droite et recule l'épaule gauche pour tirer le levier en faisant office de mes 4 doigts comme de crochets pour débrayer ! C'est encore pire car à chaque pression sur le bout des doigts, la douleur n'en est que décuplée…

                                                  Maintenant, c'est la confusion dans ma tête : qu'est-ce que j'ai fais comme connerie ? Pourquoi ne me suis-je pas arrêté avant ? Ca craint grave. Je cherche à freiner de l'avant : même problème et même technique alternative du capitaine Crochet. Je capitule, je freine de l'arrière. Le feu passe au vert, je suis en seconde et je me gare devant la boutique d'une station service. Je m'arrête péniblement. Je stoppe le moteur au coupe-circuit car il m'est impossible de tourner la clé du Neiman. Je reste assis un moment et je pose les mains sur le réservoir. Là, c'est TROP pour moi !

                                                Je m'aperçois - et c'est la seule consolation - que ma réduction de vitesse en rentrant en ville - en plus de la température de l'agglomération qui devient plus clémente - a en fait diminué la prise du froid et que le sang a recommencé à circuler dans mes doigts. Ce qui est donc un bon signe en soi. Cette douleur devenant plus acérée, les vaisseaux sanguins laissant millimètre par millimètre remonter le sang. C'est proportionnel. Mais quel sera l'état de mes doigts, après ?

                                                Je finis par béquiller, content que les pieds n'aient pas trop souffert, et par descendre de la moto. J'enlève les gants. Le frottement sur les doigts a l'effet de lames de rasoir… Ce n'est pas fini, le réchauffement continue et je déguste sérieux. Il faut réchauffer au plus vite. Maintenant, je rentre dans la boutique. Le caissier voit que ça ne va pas. Je lui explique que je cherche à me réchauffer les mains. Il semble hébété devant mon expression faciale… Lui aussi a dû dégivrer ce matin pour aller au boulot… Je me dirige vers un coin, comme pour ne pas gêner la clientèle de ma souffrance.

                                                Je tente au mieux de faire descendre mon pantalon waterproof. Autant vous dire que je ne le fais pas par les élastiques ! Chose impossible… J'arrive après à ouvrir le haut, puis ma veste pour accéder au jean que je dois défaire pour y glisser mes mains. Par à-coups, je me retourne vers l'employé qui semble emmerdé de me voir dans cet état. Je fais descendre mon sur-pantalon en insérant mes mains à l'intérieur. Putain, j'arrive même pas à attraper la fermeture éclair du jean. Une fois que le ben parvient à être un peu descendu (je ne vous explique pas la scène derrière la vitrine…), j'y enfouie très délicatement mes mains une par une afin de les réchauffer sur mes couilles. Seule zone faisant affaire de poche réchauffante.

                                                Je suis désormais totalement immobile, prostré sur moi même et courbé sur l'avant. Je chiale en silence, le souffle saccadé par les contractions abdominales. Le réchauffement s'accélérant, j'ai pourtant une envie de gueuler comme jamais. La douleur est similaire - et j'ai pu faire ce parallèle bien après - à celle quand t'as coincé tes doigts dans une porte au niveau des charnières… Vous voyez l'image là ?

                                                Mike Horn, bien connu pour ses exploits sur la calotte glaciaire en arctique a eu ses doigts gelés à différentes échelles, puis à un niveau proche de l'amputation. Mais il a fait un joli parallèle en précisant que la douleur permanente est comme si on te donnait des coups de marteau sur les doigts et ceci, de manière continue. Je confirme, Mike, je confirme !

                                                Ainsi, après quelques minutes de traitement ''couvage'' de burnes, j'ai pu retirer mes mains, remettre le jean partiellement et avoir un aspect plus constructif pour la suite. La douleur est dure mais supportable, j'arrive à saisir et à tenir des choses. Je ne remets rien en question, les gants étaient déjà fatigués, je le savais. J'assume. Ca fait partie de l'opération. Je m'excuse auprès du caissier qui était un peu en arrêt devant cet évènement qui est venu agrémenter son début de journée ! Il racontera…

                                                  Il me faut maintenant trouver un magasin de moto pour m'acheter une paire de gants digne de ce nom et du matos ''Hiver'' s'il vous plait, Monsieur. L'employé de la station m'en indique plusieurs, mais dans une ville balaise comme Liège, j'espère ne pas trop tourner.

                                                Voilà, j'ai repris mon destrier, et je me dirige vers le centre-ville.


FIN DE LA 3 ème PARTIE



Black Kariboo heading to the Cold War with frozen guns.


Que celui qui allume la lumière en profite pour se réchauffer les mains avec, avant de prendre les clés.

Épisode 4 -  Soeur Gertrüde de Hanovre 





                                                ::Une fois les mains dégelées, j'ai pris la route du centre de Liège en quête d'une paire de gants adaptée à mon voyage. Je ne dois pas tarder car j'ai beaucoup de route à faire  si je veux arriver à Berlin demain. Pour aujourd'hui, c'est trop tard. J'ai trop traîné à la campagne.

                                                  Je passe devant 1 magasin, je m'arrête vite. Oooh pétard ! Le magasin est fermé depuis quelques minutes… Il est midi et il ré ouvre à 14h00. Ca, ça casse dans un voyage quand t'essayes de ne pas perdre du temps bêtement avec des conneries. Quand tu sais qu'il te reste 600 km environ, une seule chose te fait avancer, c'est d'arriver au plus vite pour profiter du but de ce voyage : Berlin. Il y a une milestone, et tant que cette borne n'est pas atteinte, tu ne peux avoir le répit. Une fois arrivé, tu te permets d'atterrir et de voir le temps venir à toi et de passer un moment avec lui pour manger le présent à déguster. Mais avant, tu restes en apnée jusqu'à l'arrivée. C'est comme ça.

                                                        Enfin, le magasin ouvre, je fonce dedans, je demande de vrais gants de qualité à l'aubergiste. Je lui raconte mon voyage et la mésaventure de ce matin. Et je retrouve ce fameux regard perplexe et impressionné, bien sûr toujours avec une pointe d'envie, car bien des motards auraient voulu se faire Berlin, je suppose en cette période festive jubilatoire pour les Berlinois. Allez, 3500 francs belges (600 et quelques de nos francs). J'ai mal au cul, pas à cause du froid mais parce que je ne pensais pas avoir à faire cet investissement du tout. Merci la CB.  Le vendeur, sachant où j'ai passé la nuit dernière me donne sa carte de visite en m'ordonnant lors de mon retour de ne pas hésiter à l'appeler afin de m'héberger si besoin il y a. Ceci à n'importe quelle heure, même la nuit. Ca touche et ça rassure. Confrérie. C'est sa manière à lui de contribuer ce voyage.

                                                          Enfin, 14h45, je peux reprendre la route et filer via un dédale d'autoroutes vers Hanovre en passant par Düsseldorf au dessus de Cologne,puis Dortmund. A partir de là, c'est le couloir jusqu'à ce soir. Encore 350 bornes à peu près à se taper. Un truc amusant est - en 1989 - le panneau sur l'autoroute ''conseillant'' 130km/h. Pas de restriction, mais un conseil… On est loin du principe français des limitations de vitesse. Bon, c'est vrai,
les autoroutes sont larges, et je me fais doubler en pagaille. Avec le Ténéré, je cale sur 130 afin de tracer quand même, mais de ne pas non plus trop me les geler au vue de l'expérience de ce jour.

                                                            Cependant, les nouveaux gants sont doux et chaud avec des inserts en alu - encore ! Ils remontent bien jusqu'au 1/3 des avants-bras.C'est clair, il n'y a pas d'air qui arrive à se faufiler par les bouts des doigts. Allez, néanmoins, ça caille toujours aujourd'hui, et ça se ressent toujours même avec du nouveau matos. Faut pas rêver, on est toujours bien en dessous de ZERO et à 130, je ne vous fais pas le schéma ! C'est pas du cinéma.

                                                              Voilà, j'arrive à Hanovre vers 17h30 et il me faut maintenant trouver logis pour la nuit. Je me dis -toujours avec cette candeur bien arrangeante du voyageur- que je vais demander à des gens dans la rue s'ils peuvent m'héberger et, le cas inverse s'ils ne connaîtraient pas quelqu'un qui pourrait le faire. Y a pas plus simple !!!

                                                                  Ainsi, je pénètre dans une ville grosse comme Marseille et je me sens minuscule. De grosses voies rapides, j'arrive sur des 4 voie urbaines avec larges trottoirs et je commence à faire ma quête. Je me prends quelques refus gentils et l'on me souhaite bonne chance ! Faut pas se leurrer, je me pointe vers des gens qui finissent leurs journées de boulot, et de nuit en plus. Certes, ils causent tous anglais, mais on revient toujours au mec qui déboule sans préavis dans la vie de quelqu'un. Chose qui n'est pas paramétrée donc nada.

                                                                  Il fait nuit depuis 2 heures, il fait froid. Je ne réalise pas qu'il va me falloir impérativement trouver un couchage. J'en viens même à m'arrêter dans un commissariat. Je demande l'anglophone de service et lui fait part de mon souhait d'occuper une de leurs cellules jusqu'à demain matin… Facile, y avait qu'à demander. Facile, y a qu'à se prendre un évident NEIN : administration, cellules destinées aux prévenus, papiers, risques et emmerdements en perspective pour les fonctionnaires etc…

                                                                    Ainsi, comme partout en général quand on ne peut pas t'aider, on va te diriger vers quelqu'un qui pourra. Là, le flic m'indique qu'en Allemagne fédérale, dans chaque gare ferroviaire, il y a un centre destiné aux SDF équivalent au Secours Populaire ou à l'Armée du Salut pour bénéficier de l'asile pour une nuit. OK, j'suis preneur, où c'est la gare à Hanovre ? Pas facile quand on t'explique en te donnant des noms de boulevards et d'avenues en allemand ! Je mémorise le nom du mot ''gare'' en germanique, prends la direction principale et suis les panneaux.

                                                                    Il est désormais 19h30 et j'arrive à la gare. Je dépacke mon sac du porte-bagages et rentre dans une immense structure, le hall de gare et me dirige vers le point accueil en question. Je suis éreinté, le sac à dos rappelle à mes épaules que je ne l'aie pas perdu. Les yeux séchés des larmes que le froid impose avec la visière ouverte. Le visage est sec, la peau crasseuse mais tendue, limite L'Oréal m'embauche parce que je le vaux bien.

                                                                    Je me présente aux Sœurs bien germaniques et pas formatées façon Jane Birkin ou Cameron Diaz, si vous imaginez le portrait. Elles sont habillées de noir, coiffées de blanc, prennent mon nom. On se fait comprendre comme on peut, je ne parle pas allemand et leur anglais date de l'école, du temps où elles pouvaient encore se faire un doigt en pensant aux garçons…  Je leur explique le but de mon voyage, on discute un peu. Elles me font patienter car la grande majeure partie des lits est occupée depuis quelques mois par des frères et sœurs de l'Est, réfugiés à l'Ouest depuis que le monde ''bouge'' enfin chez eux.

                                                                    Euuuh, y aura quand même un p'tit lit pour moi ? Affirmatif. 10 Deutsch Marks de participation, Bitte! Ach ! Par ce montant, mon calcul se biaise et mon encéphale buriné et vaporisé par la route comprend un équivalent de 100 balles. Je m'offusque, un peu gêné, en rétorquant que la polizei m'avait dit que cela serait gratuit et que je n'aie quasiment pas de sous en poches pour arriver à Berlin avec ma moto.

                                                                    A ce moment là, 2 autres sœurs se rapprochent pour ''assister'' leur collègue, genre Girls in Black. On a du mal à se comprendre de toute façon. Pour moi, ça fait beaucoup à débourser, je préfère limiter la conso pépètes. Je les remercie à posteriori d'avoir pu parler anglais même de manière très basique. J'ai dû les gaver en cette fin de journée, elle m'accorde le gîte. Pour le couvert, elle me montre un distributeur de cochoncetés genre Mars et Bounty. C'est bon pour moi, Madame  la Sœur ! DANKE !! Very Danke beaucoup !!! Je dois revenir avant 21h00, limite avant fermeture.

                                                                    Ooh, j'ai bien remarqué que le fait d'aller à Berlin pour un plaisir récréatif et en même temps, oser demander l'asile caritatif gratuit était - à leurs yeux - peu correct, voire déplacé. C'est clair qu'un 29 décembre, d'autres gens ont froid et eux, méritent de l'attention car ils ne peuvent pas faire autrement, alors que moi je viens me mettre volontairement dans une situation temporairement précaire, sachant que chez moi, j'ai tout ce qu'il faut… Je finis par être un peu emmerdé… Voire embarrassé. En effet, alors que je mettais quelques DM dans le distributeur, je procède à la comparaison automatique du taux de change, déjà habitué à jouer entre les francs de chez nous et les Livres Sterling d'Elizabeth, je m'aperçois que les 10 DM demandés par les Sœurs ne représentaient en fait que 34 balles et non 100 !!! J'ai un peu honte… Je regarde en arrière vers l'accueil. Je choisis un Fanta.

                                                                    C'est vrai que je suis limite en budget, que le voyage se fait seul et qu'il faut limiter les débits. Surtout qu'à Berlin, je ne sais pas encore comment je vais gérer le gîte, espérant toujours qu'une bonne âme civile m'aidera. De toutes façons, je me dis qu'il doit y avoir une association franco-allemande berlinoise et que parmi les membres, il y en aura bien un - de préférence une - pour m'accueillir.
                                               
                                                                      Imaginez vous vous pointer gentiment à Paris, d'aborder un autochtone de Panam et de l'informer qu'il va vous recevoir ce soir… C'est pas gagné, hein ? Berlin, c'est pareil, mais à la seule différence qu'étant à l'étranger, donc hors de France et ainsi sans jugement limiteur de ses compatriotes, on se sent la liberté fraternelle d'être membre des peuples qui se côtoient sans trop de manières et de préjugés. On ose. C'est une oxygénation de l'esprit qui enhance la force et le charisme de chacun, qui fait sortir de toi des pensées et des capacités étranges et surprenantes !

                                                                    Étant au chaud dans la gare, j'en profite pour aller aux toilettes avec mes sacs. Je suis exténué et avec ce que j'ai mangé depuis hier matin, j'ai le bide en vrac et je ne voudrais pas être la cuvette qui va accueillir mon séant. J'arrive dans la zone des Messieurs, une dame pipi dans un coin et un rang d'urinoirs sur 10 mètres de l'autre. Les toilettes pour gros débit sont au fond de la pièce. C'est pour moi. Il faut 50 schilling pour ouvrir la porte… Bon, je ne peux plus me retenir, je rentre, installe mon matos et commence le déshabillage. C'est qu'il y a de la couche !

                                                                    Aussi, il faut savoir que les cuvettes allemandes ne sont pas faites comme chez nous : Le colombin ne tombe pas dans l'eau directement, mais sur de la faïence garnie de quelques millimètres d'eau seulement à 8/10 cm du fessu. Et quand on tire la chasse, l'eau fauche le tout pour se vider dans un trou par l'avant de la cuvette en effleurant les bollocks. Relevage de quéquette obligatoire. Autant dire que ça n'engage pas à rester longtemps sur le bog à feuilleter les magazines !!! C'est contraignant pour la libido…

                                                                    Je fais ce que j'ai à faire et j'en profite pour me reposer un peu assis sur la cuvette, la tête entre mes mains. Tellement je suis vidé, je m'endors quasiment. Et à un moment donné, j'entends un bruit qui me sort de mon cosmos : c'est le grincement de ma porte qui s'est ouverte toute seule, laissant le spectacle que je vous laisse imaginer à la vue de tous ceux qui urinaient !!! En fait, il y a un mécanisme à minuterie dans le verrouillage de la porte ! C'est pas mal, ça. Je jette un coup d'oeil hagard à l'assistance, referme la porte que je maintiens bloquée avec mon sac à dos.

                                                                    Voilà, je reviens après ma barre de Lion et mon Fanta au foyer, on me montre ma chambre à multiples lits. Le sol plastique est d'un gris bleu classique utilitaire avec les murs jaune paille. Il y a autant de lits que de casiers métalliques, genre vestiaire d'atelier. Aucun autre meuble. Les lits sont à tubes cintrés comme ceux que certains d'entre-vous ont eu à côtoyer dans les casernes. Une housse, un drap blanc et une couverture grise ou marron qui gratte le menton et le gland. Du simple sans fioriture de confort.

                                                                        Un élément qui me frappe sont les noms inscrits sur chacun des casiers. Des noms d'hommes et de femmes - quel âge ont-ils ? - qui viennent d'Allemagne de l'Est. Des gens qui sont passés à l'ouest certainement clandestinement et qui ont demandé refuge et asile à Hanovre qui est à 80 bornes de la frontière. Le foyer est devenu petit à petit rempli de réfugiés qui ont tout quitté. Y a de l'histoire et de la souffrance dans ces casiers, et bien des rêves à venir. Surtout des rêves.

                                                                    Pourtant,dormirai-je seul. Où sont-ils ?. Je me glisse sous les draps, je pense à la moto dehors devant l'entrée de la gare, et à tout ce qui s'est passé depuis hier matin quand j'étais encore chez moi en France…

                                                                                                                              Je dors.



FIN DE LA 4ème PARTIE

Black Kariboo and the furious Gertrüde.


Que celui qui allume la lumière, sous les draps reste vigilant.







Épisode 5 - Intra Muros




                                      Le lendemain, à 6 heures du mat', un bruit de tonnerre me sort du sommeil. J'ai la tête de lit orientée vers la porte, ce qui ne m'apporte pas quiétude. Encore une succession de déflagrations, je me réveille brusquement, ébloui par une lumière dans la tronche. Les néons crépitent comme dans un jeu de percussion en gobelets plastiques majeur.''HAAUUUUUUSSSSSSS !!!!!!!''. GESTAPO ? Non,c'est Gertrüde qui tambourine à la porte afin de me réveiller pour évacuer avant 7h00. Oh, putain, j'suis nase, j'veux dormir. Je voudrais pouvoir rester tellement je suis râpé.
                                      Quelques secondes de croisement mental. J'ai envie de lui dire ce pour quoi je suis ici. Partager un peu ma fierté de faire ce trip. Vanité. Je suis un autre parmi les autres. Ce voyage n'appartient qu'à moi tant que je ne l'ai pas accompli, tant que je ne l'ai pas partagé. Tant que je ne l'ai pas fini.

                                      ''Haus !!!''. Je me retourne vers elle, je mets mes lunettes et elle me gueule : ''Washroom ?''. En ce matin, elle me salue d'un néologisme anglicisé pour la circonstance : ''Salle de lavage ?''.Heu, Was ? Ah oui ! La douche, oui-oui, JE VEUX une douche. La nuit est passée, je suis courbaturé et j'ai peu dormi. Il est préférable de me décrotter.

                                      Tout cela fait, j'ai droit à un café bouillant et un bout de biscuit. Désolé pour la veille, je les remercie bien. Un regard aussi suffit bien des fois pour exprimer une pensée ou un sentiment. Déjà l'essentiel, mon esprit est tourné vers la récupération de la moto. Je l'ai garée devant la gare à quelques mètres seulement de la porte principale, j'ai peur qu'elle ait été emmenée à la fourrière ou volée. Que nenni. Elle est là, le froid avec… Qui voudraient voler une moto pour se geler les narines et accessoirement les couilles avec ? J'amarre mon sac sur le porte-bagage du Ténéré. Je m'habille précautionneusement avec mon lot de couches de vêtement. Allez, la carte, Hanovre-Berlin, ça ne sera plus long d'autant qu'il n'y a que de l'autoroute. Cagoule, casque et gants.

                                      Aussi, température négative avec un soleil qui irradie l'est sans qu'il ne soit encore visible. Ici, le jour est là, mais Râ prend son temps pour se dénuder et montrer le feu quand il arrive à percer les strates nuageuses. Il me promet une journée a priori ensoleillé donc un froid vraiment typé climat continental aux environs de -10°. Normal, il est 7h15 du mat', fin décembre, le soleil se lève plus tôt que par chez nous. C'est bon, la journée sera bonne car gigantissime en terme de contexte mondialement unique. Surtout aussi proche géographiquement parlant. Finalement une opportunité que je suis content de ne pas rater. Je sens que je me rapproche… C'est imminent.

                                      Die Mauer est quand même tombé !!! Le tapage médiatique qui a précédé sa chute et les jours qui ont suivi a été jusqu'à nous enivrer, tellement la situation de ce Mur partant en morceaux à la Porte de Brandebourg était symbolique et inespérée encore quelques semaines auparavant. En effet, j'ai toujours en tête ses images nocturnes à la téloche avec ces gars et ces filles de l'Ouest s'agitant devant et sur le Mur avec moult drapeaux, pétards, fusées de détresse et toute la ferveur d'une jeunesse fermement décidée à faire péter ce putain de mur. L'émulation grandissante côté Est devait être émouvante aussi.

                                      L'Est bouge, le vent se lève, ces gens imaginent l'Ouest comme un Eldorado humain frappé de liberté. Là où l'on peut se déplacer sans avoir à se justifier, penser sans subir la répression, sans être surveillé. Pouvoir accéder au pouvoir d'achat des apparatchik bien placés et surtout aussi à toutes ces marchandises qui sont présentées dans l'opulence de la distribution à l'occidentale, pas de pénurie. Noël toute l'année quand tu as passé ta vie dans le gris et la restriction. Et de tout ça, ils n'en ont qu'une perception pleine d'utopies sans limite. Avec le temps, je crois bien qu'ils avaient une idée de ''chez nous'' avec la vue d'un enfant, c'est à dire sans la lucidité nécessaire à la circonspection pour cerner un nouvel environnement avec justesse. Peu importe, pour eux, toucher à l'Ouest devenait un impératif vital, pour se libérer du joug soviétique et de vivre libre, enfin…

                                        Avec le recul des années, sur certains points, nombre d'entre eux ont déchanté quand même. Sans être calé en géopolitique et en étude de transformations socio-culturelles, certains se sont brûlés le mental à beaucoup trop espérer que tout changerait très vite. Cependant, les Allemands de l'Est ont eu plus de chance que leurs potes d'autres pays du pacte de Varsovie.

                                        Ainsi, je vais goûter à cette effervescence et je roule donc franco à 130 km/h (toujours un régime suffisant pour le mono Yam et la température ambiante). Je rêve toujours d'un Africa Twin qui m'aurait fait tracer plus facilement et mieux protéger, mais néanmoins, je n'aurais pas été plus vite avec ce froid.

                                      J'arrive donc dans un corridor de plusieurs kilomètres. Ces 2 haies métalliques de 4-5 mètres de hauteur sont situées de chaque côté de la route à à peu près une trentaine de mètres. Elles veillent à ce que nous ne fassions quelconque excursion latérale… Même pas pour un pipi. Elles nous conduisent irrémédiablement au poste frontière par réductions successives pour finir par être un confinement de 20 mètres de large.

                                      Voilà, j'y suis… J'ai une impression - pas forcément justifiée - d'insécurité, un peu comme si l'on pouvait me retenir pour tel ou tel motif arbitraire… On nous a tellement bourré le crâne à nous aussi. Bôah, je fais la queue, je décasque et décagoule à la demande irritée du douanier car j'avais gardé mon heaume, le nez gelé par un froid cinglant venu de la plaine à peine freiné par la forêt blanchie.

                                      Le fameux coup de tampon est-allemand tant attendu par mon passeport (et certainement mérité) est enfin apposé sans sourire du préposé. Il me houspille de dégager pour limiter la queue de bagnoles qui fusent vers LA capitale pour les festivités. Ils n'ont certainement jamais vu autant de trafic passé sous leurs yeux. J'ai un peu le sentiment de les voir agacés par cette situation ''entre-deux'' et par l'inconnu de leur futur de fonctionnaires. Faut dire aussi que fonctionnaires ou pas, ils doivent avoir l'encéphale un peu émoustillé par la frénésie ambiante.

                                      Allez, je sors de la zone un peu avec un esprit mélangé d'excitation et de jubilation, car c'est le dernier run de quelques dizaines de km avant l'arrivée dans une capitale totalement méconnue pour moi. Et ce fameux objectif - sujet à tant de conversations en Angleterre il y a encore 10 jours - est désormais à portée. J'ai l'image de mes copains lors de soirées, je vais pouvoir leur raconter tellement de choses à mon retour au  royaume de sa Majesté.

                                        Il y a du monde sur l'autoroute. Bien sûr, ceci en rapport relatif avec le passage aux douanes. De grosse voitures allemandes filent et me doublent à vitesse soutenue. Eux ont le chauffage !!! Le tarmac est par contre très moyen avec régulièrement des raccordements bitumineux de qualité corse…C'est vrai qu'on est pas encore aux dalles de béton de 10 mètres de long type piste d'aéroport militaire ou du fameux Orbital de la M25 qui gravite autour de Londres. Mais pas loin.

                                      Cependant, quelque chose me frappe au bout d'une dizaine de kilomètres… Une sensation étrange qui se fait de plus en plus présente : la neige apparaît par plaques et le soleil s'estompe. C'est comme s'il y avait une ''justice'', et que les dieux punissaient cette partie russe de l'Allemagne. Un rappel surréaliste. Cette pensée assez restrictive me vient car pour nous, à l'Ouest, notre culture est imprégnée de guerre froide depuis 40 ans. Les rouges, ceux sont les vilains avec leurs missiles nucléaires qu'ils doivent toujours nous faire péter à la gueule. On a tous été élevé et entretenu - appuyé par nos médias bien encadrés par les gars de l'Elysée - avec l'idée du danger qui ne pouvait venir que de l'Est. Alors, je souris à ce coup du sort météorologique.

                                      En fait, c'est pas fait pour m'arranger, mais la route est assez dégagée et le flux des véhicules pérennisent l'assèchement de la voie. De toutes façons, la vitesse sur les autoroutes DDR est limitée à 100 km/h.

                                      Maintenant, la neige est de plus en plus présente sur les bords de la voie et commence à entamer le bitume. Des petits flocons me lubrifient la visière. Ca caille dur et j'aperçois une aire de repos… J'ai des fourmis dans les doigts et même mes gants ''belges'' avouent leurs limites. Je commence à ne plus m'amuser. L'expérience d'hier ne me donne pas envie. Mes pieds aussi non plus. Je m'arrête. Avouons le, une aire d'autoroute est-allemande, c'est pas comme chez nous, hein… Un parking à peine déneigé, un accès enneigé à une cafétéria de 100 m2 totalement embuée. Le peuple à l'intérieur ne semble pas être surpris par l'arrivée du taré au regard plissé, celui avec sa tenue indonésienne et sa cagoule remontée en bandana, sac à dos, casque à la main et visage séché. Pas de contact. Ils préfèrent certainement n'avoir aucune interaction avec cet alien. Des fois que je leur demanderais du fric !!!

                                      Parmi mes co-cafétériens, au son linguistique, ces dames sont certainement russes ou des favorisées de l'Est qui reviennent au pays. Belles femmes un peu retouchées pour quelques unes, affublées d'énormes fourrures en peaux de blattes de goulags sibériens, bien maquillées (pas les blattes, hein…), elles ne sont pas à plaindre. En attendant, je ne prends même pas de café, on est les uns sur les autres, j'en profite pour me réchauffer autant que possible. Je ne me sens pas à l'aise du tout avec ces voyageurs qui sont subitement mes aliens à moi. D'un coup, je ripe vers l'extérieur.

                                      Off we go, la route continue que je ne me suis même pas aperçu que le corridor de grillages avait disparu. J'arrive maintenant sur un ralentissement qui amène à un nouveau contrôle de douane. Berlin Ouest est très proche. Postdam. Je sens l'agglomération grossir. Ici, je dépose mon passeport sur une bande roulante de 50 mètres de long façon tube. J'avance. Là, encore , un geste brusque m'invite à présenter mon sourire L'Oréal. Le gars vérifie le document et me dit de le récupérer à une autre guérite.

                                      Maintenant enfin, j'acquis mon sésame pour 5 DM afin de parfaire mon droit d'entrée à Berlin Ouest. Je quitte l'Est pour arriver à nouveau dans le monde moderne et faste de ce Berlin des alliés. Depuis la chute du Mur, 3 millions d'Allemands ont fait LE déplacement ''exotique'' vers la capitale. A 5 DM par bagnole ou par personne peut-être, le comptable du Parti est heureux ! Idem pour le sortir de la ville.

                                      Quand je pense qu'avant-hier, à cette heure-ci, j'étais encore chez moi assis dans l'escalier, devant la bâche de mon copain chinois, regardant l'étalage du matos sensé contribuer à parfaire cette sortie au froid. Tant d'images et de sensations ont défilées en 48 heures que j'aime ce qui m'arrive. Le meilleur est pour tout à l'heure.

                                      Il est bientôt midi. ''Berlin, Ich kome !!!''


FIN de la 5ème  PARTIE

                                      Plus j'écris, plus je note que des souvenirs bien précis font surface et en amènent d'autres à se formaliser et à redevenir présents comme si cela faisait un ou deux ans que j'avais fait ce voyage. Ce qui m'amène plus à essayer maintenant de faire transparaître des sensations, états d'esprit ou émotions plutôt que de coller à la chronologie comptable du voyage.

                                      Cependant un peu des deux serait l'idéal, car pas facile de vous décrire un lieu et son ambiance sans les détails ''photographiques'' ou chiffrés. Exercice difficile car manier les mots n'est pas ma qualité première. Les connections dans mon encéphale se tarissent aussi !.
                                               
                                      Et puis je n'avais pas écrit de récit depuis mon départ du monde scolaire. Cependant, 20 années de plus aident beaucoup à faire passer quelque chose avec justesse et fidélité. L'école de la vie, quoi.

                                      En attendant, je prends de plus en plus de plaisir à étaler ce voyage. C'est bon signe.

Black Ka'.



Épisode 6 - Je touche le Mur ...







                    Mon ticket pour la capitale en poche, j'arrive sur de grandes artères puis sur des boulevards qui m'emmènent dans le grand centre de Berlin. Le soleil est présent, ça me fatigue les yeux. La ville est incontestablement plus chaude évidemment, au dessus de zéro, je vais devoir enlever une couche.
                    Le trafic est là et je m'engage dans des avenues à 4 voies avec de grands trottoirs arborés sur lesquels du monde se balade. Normal, on est la veille du réveillon du Nouvel An et ça reste une capitale, et de surcroît en ce moment, il y a nombre de visiteurs comme jamais Berlin n'a dû en voir depuis la seconde guerre mondiale. Donc, énormément d'Allemands venus de RFA, bien sûr, mais aussi beaucoup d'européens de toutes nationalités. On y entend parler toutes les langues avec le Français.

                    Ainsi, je vais à l'essentiel, 1er objectif : me procurer un plan. Hop, une librairie pour l'objet désiré. Et à la caissière au visage doux pas trop germanique, je pose la question que je n'affectionne pas : Connaît-elle quelqu'un qui pourrait m'héberger ? A défaut de le lui demander directement. ''Nein ! Zorry…'' C'est vrai que j'ai toujours eu du mal à m'imposer et surtout, à imposer ou a mettre les gens dans une situation de gêne où, pour eux, placer un refus n'est pas chose aisé, car emmerdés de ne pas rendre service.
                    Bon j'ai 2 autres alternatives dans ma tête : le camp militaire français Napoléon et l'assoc' franco-allemande où il y aura bien un membre sympathique qui se fera le plaisir de m'accueillir chez lui ! N'est-ce pas ? j'y crois toujours…

                    Parallèlement, je pense au bestiau qui n'est pas au sommet de l'échelle des prédateurs et qui doit chasser. Chacune de ses sorties est risquée, donc le temps dehors est dédié à l'essentiel : se nourrir et surtout ne pas engraisser les autres !
C'est un peu pareil pour moi, le logis avant la tombée de la nuit ! C'est tout.
                    En effet, il est 14h00, le solstice d'hiver est passé depuis 7 jours et le temps de jour est parmi les plus courts de l'année. Sans mentionner que Berlin est placé à l'est, donc il y fait nuit plus tôt. Quand on sait qu'entre Brest et Strasbourg, le soleil se couche déjà avec 45 minutes de décalage, et que Berlin est placé à 900-1000 km à l'est de chez moi en longitude et est plus au nord.
                    Voilà, Blois est un peu à l'est de Paris, ce qui nous donne chez les Berlinois 1h00 de moins d'ensoleillement. Tant est que l'on puisse parler d'ensoleillement là-bas à Check Point Charlie en cette période de l'année ! La nuit flanquée d'une chape de bruine et d'un froid stimulant tombe vers 15h30/15h45. Et là, ça fait mal. Pour moi donc, il faut finaliser le couchage de ce soir sans trop tarder. Mais avant, un p'tit tour à la Porte de Brandebourg. Quand même…

                    En attendant, je pense que c'est en ce début d'après midi que j'ai dû téléphoner à mes parents . 2 jours après être parti, vers une destination inconnue, par ce froid et à moto en plus. Pas de pression parentale. Pas d'obligation. ''Tu nous téléphones quand tu arrives, ne t'agace pas, tu le feras quand tu pourras…''. Et bien, je dirais qu'ils ne sont pas nombreux, les parents qui pourraient supporter - en apparence - de n'avoir des nouvelles de leur petit qui est parti à 1300 km de la maison, qu'au bout de 48 heures… Cela montre une facette de la considération qu'ils ont de moi : avoir confiance en un gamin de 22 ans qui part à l'aventure, seul.
                    Qu'ils savent que mes actes et décisions seront prudemment pesés pour mener à bien cette sortie sans me retrouver dans des emmerdes inextricables avec des tiers, police ou autres bandits de ville. Qu'ils me voient débrouillard et autonome. Ca rassure quand tu es encore sous le giron familiale après 19 ans de vie commune à temps plein et les 3 dernières années en cordon ombilicale hors maison. Qu'ils me savent prudent, aussi, sur la route.
                    Tu juges, tu vois, tu agis en conséquence, sinon tu ne pourras tirer de ce voyage la quintessence d'une telle aventure. Ce que je fais. Après, il sera trop tard.
Je n'ai pas besoin de les en remercier, je pense à eux tout simplement, les échanges de regards au départ se suffisaient à eux même. Il en sera pareil au retour.

                    Revenons à l'asphalte berlinois. Les grands axes m'amènent au Mur, de la bagnoles garées un peu partout sur les trottoirs, beaucoup de piétons avec leurs petits sacs à dos et leurs appareils photos. Quelques véhicules de polizei pour rendre compte et limiter les excès.

                    Là, je m'apprête à vivre une expérience que seuls la ferveur et le nombre peuvent permettre d'être réalisée. Le plafond nuageux est très blanc, ça me tire sur les yeux. A 100 m, j'entend un bruit de fond, je me rapproche, me gare, attache le 600 et enlève le casque. De la foule de partout avec une concentration dans les 20 m du Mur. Il y a quelques hystériques heureux dessus, à chanter et à danser dans un équilibre précaire. Certains y haranguent la foule, d'autres se vautrent par terre car la place manque…
                    Mais là, putain, mais qu'est-ce que c'est que ce bruit de marteau piqueur ? Ou alors, c'est une école de tailleurs de pierres avec quelques centaines d'élèves bien appliqués ?
Phénoménale. C'est hallucinant. Hors imagination. Je me fraie un passage dans une foule pas trop dense, tous, le visage en arrêt. Ce bruit s'intensifie à arriver quasiment à en être continu. J'aperçois un tas de monde scotché au mur à taper avec marteau et burin… Bordel, ils veulent tous un bout du MUR avant que celui-ci ne soit détruit… Oooh, putain !!! Quelle force…

                    Ca se bouscule un peu pour avoir les ''bonnes pièces''. Soit en solo pour un petit souvenir d'un bout de Mur, ou alors à 2 avec celui qui tient le burin et pour lequel ça craint pour ses doigts, et l'autre qui tape de manière précise mais virile, afin de libérer des morceaux de béton autres que des éclats insignifiants sans bourrer la gueule de son compagnon de mur. Ou alors façon organisation lucrative et là, ça dépote des morceaux de 5x5 cm si possible avec un bout de graffiti, avec burins de pro de 30 à 50 cm et masses de TP. On y voit ainsi des morceaux de choix ''décollés'' en plaques pas trop épaisses et arborant des tags significatifs. J'ai même vu des plaques de 10x10, voire 20x20 et une - rare - de 30x20 cm. Extraire sans trop de casse une telle surface relève d'un savoir faire et d'une patience incroyable car ça peut péter à tous moments.
                    Ces gars en sueur, manches relevées, les burineurs ''pro'', ne sont pas Allemands, mais immigrés opportunistes qui étalent leurs extractions comme des coquillages et les vendent à partir de 5 DM. Pour les très belles pièces recouvertes en totalité de graffiti, ça peut être très cher !!! Apparemment, l'aspect béton ne fait pas recette. C'est vrai qu'un mec pourrait te refiler un malheureux bout qui viendrait d'un chantier de construction à côté, tandis que là…, c'est du vrai, taillé ''in situ, Herr Tourist !''.

                    Quand je vois partir la ''croûte'' du Mur, je me dis que l'endroit est vraiment propice aux bonnes trouvailles. Cependant, il est très difficile de s'y faire une place et d'extraire un morceau format 5x5 cm ou un de taille calot si t'es pas en équipe. D'ailleurs, les meilleurs endroits sont ''protégés'' par des copains. Pas de place pour les amat' parmi les amat' ayant déjà gratté… Ca bouscule ! J'ai d'ailleurs le sentiment que le stock s'amenuise et qu'il faut, assez rapidement, se faire un bout de morceau symbolique. Tu parles, y a de quoi faire… Et puis le Mur ne se limite pas qu'à la Porte, il divise la ville en 2, je trouverai ailleurs. Ici, c'est trop tard.

                    Sinon, un autre sentiment bien confirmé, celui-là, c'est d'être là au bon moment. Cette impression est d'autant amplifiée que seulement les 2/3 approximativement du Mur à la Porte de Brandebourg sont déjà allégés de sa peau taguée. Et au vu de l'ampleur du pelage de ce dernier, il a dû commencer à desquamer voracement il y a seulement peu de temps. Pas plus de 48 heures, voire moins. Le Mur ''tombé'', peut-être qu'il n'était pas - pour raisons de sécurité - accessible avant les fêtes. Je suis arrivé dans un plat chaud. Chaud d'espérance humaine et de perspective de réunir ce qui ne semblait jamais pouvoir l'être.
Ferveur et le nombre… C'est juste ce qu'il faut et ça vient tout juste de sortir du four. Je me sers…

                    Voilà que tous mes sens sont sollicités. Je continue d'observer ce monde frétillant. Autant ceux qui s'évertuent sur le Mur et qui doivent être sourds à cette heure-ci, que ceux qui, comme moi, regardent cette barrière, cette masse, cette longueur avec laquelle je n'ai jamais vécu - car résidant en France - mais avec laquelle nos historiens en ont fait l'icône de la confrontation Est-Ouest.

                  Je vais toucher Die Mauer d'un geste doux, avec un peu d'appréhension comme si j'avais peur de me brûler. Un toucher que la rugosité de l'enduit me gratifie de la mention ''Béton bien coffré''. Du classique, mais l'idée, le symbole de ce Mur empreint d'histoire, est aussi l'objectif de mon voyage. Toute cette route pour ce seul moment me suffirait, je crois.
J'y suis… Ben oui, je suis à LA Porte ! Waouuuhh !! C'est un moment surréaliste, ce  martelage qui sonne le glas d'un édifice ô combien lui aussi surréaliste.
De même, j'aime bien voir, peut-être avec affection, ceux qui , juchés sur le Mur "ambiancent" l'assemblée. Ils sont tous Master of Ceremony. Chacun à leur manière. Peu importe.

                  Maintenant, gorge sèche et l'estomac qui n'a pas eu sa dose de WD40, mon sac me pèse sur les épaules et je suis las. Les pieds bien serrés dans les bottes de cross qui sont loin d'être l'outil idéal pour les virées urbaines, je n'attends qu'une chose, c'est d'avoir un pied-à-terre, une base opérationnelle, et de m'alléger afin de tournoyer dans le coin avec jeans, baskets, sweat, doudoune et musette F1. La température intra muros et le kilométrage urbain quotidien m'y autorisent.

                  Well, well, well… Faut pas traîner, car je constate que Dieu se fait encore remarquer en posant une coupelle grise foncée tant la voûte nuageuse est aussi proche qu'indistincte, tellement uniforme. Je file vers le camp Napoléon dans la zone contrôlée par les Français où je devrais trouver l'association tant espérée. Le froid de l'est devient saisissant, et ici, ça n'est jamais un vain qualificatif !

                  Me voilà assez rapidement arrivé au camp que je gratifie de ma présence par mon chameau bleu à l'entrée. C'est une voie dégagée de 50 mètres, décorée en son milieu par un poste légèrement surélevé et équipé d'un planton et de sa mitrailleuse, et qui amène au poste de garde. Une fois là, il y a certainement dû y avoir une époque où le gars qui se pointait, pouvait s'offrir un tatouage à la 12.7 entre les omoplates s'il ne répondait pas aux usages de la politesse qui consistaient à s'arrêter avant de passer la grille !

                  Une fois le renseignement pris, le foyer franco-allemand, c'est son nom et IL EXISTE !!!!!… Il est situé juste en face en traversant le boulevard. Je m'y rends. Il y a un bar où les tarifs des consos sont à la fois en DM et en FF. Ca parle français. Je reste boire un coup pour me reposer un peu. Je me renseigne auprès de l'aubergiste qui me dit que justement - et je ne pouvais pas mieux tomber - la réunion mensuelle de l'amicale franco-allemande a lieu ce soir !!!. Trop fort, au moins, je pourrai trouver un gîte pour la nuit. On verra pour la suite.
''Cool, et où se tient cette réunion ?''
''Au foyer, évidemment ! Vous serez la bienvenue, présentez-vous ce soir au bar un peu avant 20h00, on vous mènera à la salle. Je pense que vous trouverez ce que vous cherchez !'' C'est encourageant, je me sens allégé d'un poids certain, vous vous souvenez, le petit prédateur, il va à l'essentiel... La solidarité des expatriés, tout ça quoi, je connais. C'est bien. Finalement, ça me paraît normal.

                  Ca fait un moment qu'il fait nuit et je décide donc de m'offrir un bon repas au chaud dans une pizzeria située non loin sur les boulevards. Il est 18h00, mon 1er vrai repas depuis avant-hier après mon petit déjeuner de Blois… Je me fais plaisir en y rajoutant un dessert maousse qui finit de me conbuger l'estomac.
L'addition, Bitte schön ? Je tends ma VISA et le gars m'informe qu'il n'accepte pas les CB Visa ici… Je suis comme un con en lui indiquant que dans le monde, tous les commerces acceptent ce type de carte. Il me répond à juste titre que les CB acceptées sont mentionnées sur la porte d'entrée de son resto et que je n'avais qu'à vérifier en entrant ! Ouais, c'est sûr,  il a raison et je n'ai pas assez de cash pour le payer. Je lui propose de revenir demain pour le régler une fois que j'aurai pris des DM dans une banque. A ma grande surprise, il accepte ?!

                  Un peu décontenancé par cette mise en défaut, je retourne vite vers le foyer vers 19h30. Je m'installe sur un siège avec mes sacs et attends 19h50 pour aller au bar comme convenu pour me renseigner sur le lieu de la réunion afin d'y participer. Je vois dehors les lumières de la ville qui éclairent la voûte. C'est là. Il n'y a pas trop d'animation. Je vais voir le barman qui a changé. Il n'est pas au courant ?!! QUOIIIIIII ?!!! J'ai la nuque chaude, je commence à ne plus réellement m'amuser de cette journée…
                  Il va aux infos et m'indique que la réunion aurait bien dû avoir lieu ici ce soir mais qu'exceptionnellement, au vu des fêtes de fin d'année, ils ont préféré ajourner à la rentrée… Là, je prends un coup dans la gueule, une baffe, une claque, un coup de bastaing, quoi… Je me vois prendre mon temps avec ma pizza puisqu'il me suffisait juste d'attendre la réunion, que tout roulait et que je n'avais plus besoin de chercher. Quand je pense au temps non constructif perdu… Les boules…

                 
Le petit prédateur va se faire bouffer.


                    Évidemment, le barman ne connaît personne qui pourrait m'héberger ce soir (surtout pas lui, hein ? Bien sûr, j'ai l'habitude…). Je reprends mes affaires en sachant que dehors, il y fait entre - 5 et - 8°.    Il est 20h00. Ca se complique.

FIN de la 6ème PARTIE



B-Ka

When the going gets tough, the light goes off. C'est bien connu...

Épisode 7 - Kalinka





            La bruine qui coule de la chape Berlinoise se fait belle en jouant des halos autour des poteaux lumineux. Me voilà donc dehors, dos au foyer et le camp Napoléon de l'autre côté que je me dois de rallier au plus vite. Vu l'avancée de la nuit et le froid qui galope dans l'avenue, je ne tarde pas, je file. Je suis confiant.

J'arrive sur la courte voie qui mène à la grille, passe la mitrailleuse et son cerbère, qui me toise pacifiquement. De toutes façons, le bonhomme est gelé et seuls ses yeux sont autorisés à s'offrir au froid.
La grille, "Bijour... Français à Berlin... Bla…bla…bla... Réunion annuelle... Bla…bla. Quelle merde... Ohh que bla..bla… Putain, ça gèle... Demande d'assistance à Français en rade… Hébergez moi siouplait pour la nuit!"

Refus direct, le sous-off' de permanence ne peut m'offrir ce service. Je demande la cellule. Ni même la cellule... Putain...
Mais, comme à toutes ces personnes à qui j'ai eu à faire, il me trouve la solution pour la nuit en attendant de revenir demain et de faire le point avec le bureau administratif du camp. Ce dernier a maintes accointances dans la capitale si jamais l'armée ne pouvait me loger pour quelques jours.
Ainsi, il m'indique l'adresse du foyer de la Légion Étrangère à l'autre bout de la capitale... Aaah? La LEGION...
J'suis partant car il y a ici toujours une certaine entraide qui n'est pas pour me déplaire. Je sors, fais le point sur la carte pour ne pas avoir à la sortir tous les 2 km. Rituel usuel de tout urban crosser. Off I go !!!

Direction les grands axes principaux, pour faire le coup rapidement. 15-20' de route sur les grands boulevards périphériques pour arriver après quelques mises au point au fameux foyer de légionnaires. Je gère la route.

Toujours cette bruine qui phagocytent les réverbères. Il est 20h30. Je parviens au parking à peine éclairé, me gare et rentre là où il y a de la lumière.
Enfin, je me vais pouvoir me poser. Ca sent bon le chaud. Je pénètre dans une salle de billard accolée au bar. Lumières basses. Ca fume dur. Des gueules burinées par des aventures inracontables, incroyables et certainement aussi, tragiques. Des yeux de quinqua-sexagénaires d'origines européennes et d'ailleurs. Aussi, seul un prélèvement d'ADN permettrait de cibler leur terre ethnique originelle tellement la vie semble avoir effacer toutes traces de distinction. Un passé opaque à ceux qui ne l'ont pas partagé.

Je me présente et les remercie de pouvoir m'héberger et précise que c'est l'Armée Française qui m'a donné le tuyau. Sympa de leur part, non?
Les gars se regardent... Un peu étonnés... Un monsieur se rapproche et me demande de tout ré-expliquer. Ce que je fais, sûr de moi. Je m'applique.
Le gars se retourne vers ses compagnons d'armes, sourie et tous se mettent à éclater de rire, appuyés aux tables de billards ! Limite, les prostates vont lâcher. C'est pas bon signe…
Il m'explique que je suis actuellement au Club Bouliste Berlinois de la Légion Étrangère...................... GAG ! Le froid devient encore plus froid.

J'encaisse... Il n'y a pas de foyer, c'est un club pour les anciens de la LE... Je m'insurge gentiment et demande s'il n'y aurait pas - néanmoins bien sûr - une petite place juste pour la nuit car il est 20h40 et que ça craint quand même, non ?
NON ! Il est néanmoins quelques secondes désolé et j'ai cependant déjà assez dérangé sa partie. Dans leur cercle, il y a l'unité du baroud et de l'appartenance à un monde à part qui ne souhaite pas vraiment s'ouvrir. Ils se "reposent".

Allez, dehors. Tiens, pas encore couché, Franck, à cette heure ci ?
Une seule solution urgente : comme à Hambourg, le foyer à la gare de Berlin et ça urge car il ferme à 21h00. Je me dois de faire rapidement le point routier car, honnêtement, à - 8/-10°, le plein de fatigue en sus, je me pose des questions pour la suite.

Vous avez l'habitude : rallier les extérieurs et direction le centre de Berlin via le fameux Küfürstendamm. La température monte à l'intérieur du casque, seulement dans le casque ! Panneaux direction la gare.

Arrêt, l'antivol sur le 600, descente de sacs, je cours car il est 20h55. Je parcours ainsi le hall de gare quelques minutes pour chercher l'entrée du foyer de la cousine de Soeur Gertrüde.
Putain, il est où ? Je me renseigne : il est à l'extérieur dans une rue adjacente. Ouaaah! Courir, je sors et me dirige vers la rue en question. J'aime pas laisser la moto trop loin. Un motard est comme un cow boy, sa monture doit être à vue car elle est l'outil vital de déplacement et de survie en zones hostiles.

En attendant, Il y a des travaux autour de la gare et des barrières me ferment l'accès, il va falloir faire le tour du bloc. Aï, aï, aï... J'suis mal, il y a des trous partout et pas de lumière. C'est pas possible, je me suis trompé, je sature, mon sac me tranche les épaules. Un retour à l'intérieur pour être sûr de la localisation du foyer. L'on m'assure que c'est bien à 100 mètres.

Re-belote, je me fraye un chemin, l'autre sac et le casque au bras -l'épine dorsale commençant à s'humidifier- entre les bouts de bétons et ferrailles qui jonchent le sol en direction d'autres fameux halos de lumière bruineux qui devraient m'amener enfin à l'accès du foyer.

Je ne perçois rien qui vaille mais je m'engage, il faut que ça se fasse, et très vite car il est 21h00 et je vis vraiment une course contre la montre dont je ne vois pas encore l'arrivée...
Aaah ? Je distingue un panneau lumineux, trente mètres encore et je passe le coin du bâtiment.
J'Y SUIS, j'y suis enfin. La gueule séchée par le froid du soir Berlinois et surtout par ces 60 heures de voyage. Je pousse la porte vitrée totalement embuée. Il est 21h00. Pfffff !!!!

Oooh putain, une odeur immonde m'attaque : je suis dans un sas de sélection où quelques SDF - bien rongés par le chauffage alcoolisé de la solitude - sont allongés sur des bancs fixés sur les flancs de mur. De la gerbe par terre à qui en veut. Well… Je voyais l'endroit façon foyer clean de Hanovre. Peu importe, Il y a un guichet vitré avec un gars en uniforme type Armée du Salut. Le préposé est issu d'un croisement bûcheron-docker de mer du nord. Pedigree rare, va trouver une bûcheronne…
Une fois accolé au guichet, mon approche a réveillé la cavalerie gutturale de gueulantes imprégnées de râpeux. Ca borborygme grave. Le gars voyant en moi le voyageur de la chute du Mur me pose la question simple à laquelle un OUI ou un NON suffira au jugement immédiat de mon avenir nocturne.
"SLEEPING BAG ?" hurle-t-il au travers de l'hygiaphone serti pour cause d'isolation thermique.
"Ooooh OUUIIIIIII !!!. Heuuu YES !".
Il se lève, ouvre la porte blindée en me demandant de faire vite. Le temps de prendre mon sac par terre et je suis poussé directement à l'intérieur par les clodos qui se sont levés dès l'ouverture de la porte. Le "portier" me tire par l'épaule vers l'intérieur et referme la porte, non sans avoir repoussé "ceux qui n'ont pas de sleeping bag" à renfort d'actions musclées.
Je le remercie, désolé de ne pas avoir percuté sur le fait que "Schnell!" n'était pas un vain mot mais une injonction salutaire. Emmerdé qu'il ait eu à repousser les SDF pour me laisser rentrer et me donner le gîte. Il m'invite à trouver une place.

J'investis la place, salue poliment les sleeping baggers. En fait, il n'y en a pas tant que ça. Je me crois entré dans un pub tellement il y a de monde et de bruit. Des tables avec des gens qui boivent de la boisson, qui grignotent des cochoncetés. D'autres, assoupis sous une couverture, crevés par un long voyage. La place est investie par des voyageurs qui n'ont pas trouvé de logis ou qui n'ont pas beaucoup d'argent.

En effet, la Russie est arrivée en force, des Allemands - de l'est, à priori - et aussi des Polonais. Pour eux, ils sont à "l'Ouest" et c'est la fête !!!
J'ai droit à mon petit café chaud, je suis gelé et l'arabica me brûle la gorge.
Petit tour aux toilettes, lavabo et je trouve une place pour retirer mon matos de motard. Ah oui, je suis le seul motard présent...

Intrigués, des enfants saoulés par leurs voyages me regardent retirer mes lentilles, à genoux, penché sur mon sac. Quelques petits sourires d'amusement dubitatifs, expression de surprises et d'intéressements naturels devant un élément unique qui ne colle pas avec tous ceux présents. Ca jette.
Je remplis mon carnet de voyage. Je n'ai même plus la notion du temps. Il est 21h30 et quelque chose. Ca fait trop longtemps que je suis parti. Un peu comme si j'avais passé les 3 derniers jours sans repaire de jour et de nuit… La fatigue et l'obsession du noir vespéral m'ont certainement fait déraper. Le petit prédateur a voulu courir très vite au terrier... Réflexe ancestral enfoui au fond de moi. Automatismes annihilés se frayant un passage dans l'encéphale dès lors que la routine bien réglée est contrariée.
Cool. Je suis humain !

Voilà, une grande journée est passée, du franchissement de la frontière à ma quête de couchage en passant par l'arrivée dans la capitale et la folie du Mur. J'ai la rétine mitraillée par ces images insolites et l'esprit riveté par la fatigue et le stress de la soirée.

"I'M A BERLINER !!!!!".

Maintenant, il est temps de trouver un coin pour me coucher et me reposer. Si je peux avec tout ce bordel... Je dirais ce mignon et touchant bordel car si cela représente un grand moment pour moi, je suis à des années lumières de ce que cela peut représenter d'être à l'Ouest pour les festivités pour ceux de "l'autre" côté.

J'ai quand même une pensée pour les clodos du sas que l'on laisse tels quels, parce qu'un nouveau genre de visiteurs est arrivé, d'une part pour cette fin d'année, mais aussi d'autre part depuis quelques mois, venant de l'Est. Ces nouveaux ''prioritaires'' les ont dépossédés du seul droit que la société leur accordait : celui de la solidarité pour les sans-abris par le gîte et le couvert au nom de l'action humanitaire immédiate qui déculpabilise les politiques. Je fais partie de ''ces visiteurs''.

Je trouve une place contre un radiateur, un peu en dessous quand même, derrière une tablée de russkov. Je couche mon duvet et j'organise la disposition du matos. Les choses de valeurs à l'intérieur duvet avec moi en tenue légère. Mon accoutrement civil et motard bien casés dans le sac, lui même coincé par mon duvet contre le radiateur. Je psychote un peu avec tout ce monde éveillé à côté, et moi qui m'apprête à sombrer dans un sommeil perturbé sans pouvoir contrôler l'environnement immédiat.

Je suis naze et je veux bien tenter de dormir, mais la rangée de chaises de ma tablée de vodkas n'arrête pas de me donner des coups dans les côtes à chacun de leur déplacement !
Je ferme le duvet jusqu'au cou.

J'ai gagné......... Oui, en attendant, j'ai gagné ma place. Et ce soir, il y a des dizaines de vainqueurs qui méritent leur place. Heuuuuu, j'ai toujours pas vu de moto, c'est normal ?


FIN DE LA 7ème PARTIE



B-Ka

Quand la lumière clignote, c'est que la fatigue radote, et quand la lumière gèle, réchauffe ton cœur pour avancer